Comment penser la création dans un pays où la destruction est quotidienne ? Le Liban et les Arts

Sur cette photo de classe, mes étudiants à l’Ecole Supérieure d’Architecture – Université Saint-Joseph ne sont pas seulement de futurs concepteurs d’espaces. Ils sont des penseurs, des rêveurs, des résistants à leur manière, engagés dans une quête de sens au sein d’un pays où bâtir – au propre comme au figuré – est un acte de courage. L’architecture, comme toutes les formes d’art, est bien plus qu’une discipline technique : elle est une manière de dire, de réinterpréter et de transformer le réel.

Mais comment penser la création dans un pays où la destruction est quotidienne ? Le Liban est encore en guerre. Les drones sillonnent les cieux, la Béqaa et le Sud sont bombardés au quotidien, et la frontière nord demeure poreuse, laissant s’infiltrer les conflits internes de la Syrie voisine. À cela s’ajoute une crise économique qui perdure. Dans un tel contexte, l’architecture et les arts en général ne sont pas de simples préoccupations esthétiques ou académiques : ils deviennent des nécessités vitales, des formes de résistance intellectuelle et culturelle.

Dans un monde où l’accélération technologique bouleverse nos repères, où l’intelligence artificielle reconfigure notre manière de penser, de concevoir et même de créer, l’enseignement de la culture et des arts devient plus que jamais un impératif. L’IA peut générer des plans, optimiser des structures, modéliser des villes entières en quelques instants. Mais qu’adviendrait-il d’une architecture dépourvue de mémoire, d’émotion et de signification? Qu’adviendrait-il de la création artistique si elle était réduite à une simple opération algorithmique ?

C’est ici que la culture prend toute son importance. Elle n’est pas seulement un bagage intellectuel, mais une boussole pour naviguer dans un monde où la technologie tend à automatiser la pensée. Plus que jamais, nous devons repenser l’enseignement des arts – dont l’architecture – non pas comme une transmission de savoirs figés, mais comme un laboratoire d’idées, un lieu d’expérimentation où l’humain apprend à dialoguer avec l’intelligence artificielle sans se laisser déposséder de son rôle créateur.

Marqué par la résilience et les chocs successifs, le Liban doit voir émerger une nouvelle génération de créateurs capables de penser un avenir malgré le chaos ambiant. Il ne s’agit pas d’opposer culture et technologie, mais de les faire coexister dans un équilibre où l’humain reste maître du sens.

Loin de nous rendre obsolètes, cette révolution technologique doit nous inciter à cultiver ce que la machine ne pourra jamais remplacer : la profondeur du regard, la complexité du ressenti, la capacité à tisser des liens entre passé et futur, entre tradition et rupture.

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